We Feed the world. "Nous nourrissons le monde". Comme tous les slogans, celui-ci (emprunté à la firme Pioneer, leader mondial des semences) cache sous une proclamation généreuse une réalité moins reluisante : celle d'une agriculture transformée en industrie, d'un "agrobusiness" capitalistique et mondialisé, qui a moins pour but de remplir les estomacs que de vider les portefeuilles, et dont le vrai slogan pourrait être : "Ça ne se mange pas, ça se vend..."
Des décharges de Vienne (où l'on jette chaque jour assez de pain pour nourrir la deuxième ville d'Autriche, Graz), aux vastes étendues du Mato Grosso (où les paysans meurent de faim à côté des champs de soja, destinés à nourrir le cheptel européen), de la plaine d'Almeria (où les tomates poussent dans de la laine de verre, irriguées au goutte à goutte et dopées aux nutriments), aux campagnes roumaines (où le gouvernement subventionne l'achat de semences transgéniques... mais la première année seulement), We Feed the World, le marché de la faim d'Erwin Wagenhofer nous confronte aux conséquences, économiques, sociales, environnementales de nos modes de consommation.
Car au-delà de la baisse de la qualité des aliments et de la perte du goût (qui n'est pas un critère reconnu pour le marché, comme nous le rappelle un des intervenants), au-delà des irrémédiables dégâts paysagers et environnementaux (déforestation de l'Amazonie, gaz à effet de serre), comment justifier qu'on laisse mourir de faim une partie de l'humanité alors que l'agriculture mondiale a largement les moyens de nourrir la planète ? Comment arrêter les flux migratoires quand on organise la ruine des paysans du Sud pour écouler les produits du Nord ?
Tout l'efficacité de We Feed the world (le marché de la faim) réside dans cette manière de juxtaposer, sans commentaire, des réalités que l'on imaginait fort éloignés, et de mettre ainsi au jour les chaînes de causalité qui les relient. C'est l'art du montage, que le réalisateur utilise avec pédagogie, et parfois ironie : ainsi quand Peter Brabeck-Lemathe, PDG du premier groupe mondial d'agroalimentaire, Nestlé, s'extasie devant les images d'une usine entièrement automatisée, après s'être vanté de faire travailler des centaines de milliers de personnes de part le monde.
Ces qualités font de We Feed the World (le Marché de la Faim) un film très pédagogique, et c'est pourquoi nous lui avons consacré un mini-site pédagogique et deux dossiers, en Géographie-ECJS ("Agriculture, alimentation et mondialisation") et Sciences Economiques et Sociales ("Mondialisation agroalimentaire, politiques régionales et stratégies des multinationales"). On renverra également à l'interview inédite d'Erwin Wagenhofer sur Vousnousils.fr, et l'article de Gilles Fumey pour les Cafés Géos, ainsi qu'au site du film qui propose dans sa rubrique "Associations" de nombreuses ressources sur les thématiques du film. Rappelons enfin que le film fait l'objet de nombreuses soirées-débats, avec le réalisateur ou des intervenants extérieurs au film, universitaires ou associatifs.
We Feed the World d'Erwin Wagenhofer. 2005. Distribution : Zootrope Films.
En partenariat avec l'Agence Cinéma Education, Zéro de conduite.net consacre à We Feed the World un dossier pédagogique interdisciplinaire qui propose une didactisation du film en rapport avec les objets d'étude définis par les programmes.
Source :
http://lamaisondesenseignants.com/index.php?action=afficher&rub=5&id=2840Après "Notre pain quotidien", voici un nouveau documentaire sur le monde de l'agroalimentaire avec le même leitmotiv qui nous touche particulièrement : l'aller retour de la production à l'assiette et ses abérations.
Mais à la différence de Nikolaus Geyrhalter de Notre pain quotidien qui filmait sur un ton neutre, le film de son compatriote autrichein Erwin Wagenhofer se veut lui engager.
Cette fois, il ne s'agit pas un docupentaire muet où le cinéaste se contente de montrer puisqu’il laisse libre cours au discours : commentaires insérés à l’image, interviews de Jean Ziegler sociologue et expert sur l’alimentation à l’ONU, de Peter Brabeck, patron de Nestlé, d’un paysan sud-américain qui meurt de faim.
On observe ainsi une partition entre les experts qui nous expliquent quoi comprendre, et les vraies gens, pions d’un système tentaculaire. La démarche également est militante : d’un côté il y a l’aubergine rabougrie mais traditionnelle et savoureuse, de l’autre l’aubergine dopée et flambant neuve prête à envahir les marchés et l’Europe de l’Est. D’un côté il y a le poisson pêché à l’ancienne, de l’autre le poisson dragué en masse et en profondeur, qui se repère, nous dit-on, à trois critères : il n’a pas les branchies rouges, il a les yeux éclatés (à cause de la pression de la remontée), et il est tout mou. la réalité.
Source :
http://www.critikat.com/article1276.htmlUn film à voir.
Chris